La Finlande a fait savoir que l’écriture cursive ne sera plus enseignée dans ses écoles dès l’année prochaine. La raison est essentiellement pragmatique. Les écrans et les claviers se sont imposés dans notre quotidien et les pages numériques sont en passe de remplacer les pages de papier. Les compétences en dactylographie deviennent donc essentielles. Aux USA, 45 Etats ont déjà abandonné l’apprentissage de l’écriture cursive.
Est-ce un bien ? L’écriture numérique fait-elle perdre quelque chose par rapport à l’écriture cursive ? Pour le comprendre, il faut se remettre en tête ses bienfaits. L’écriture manuscrite est une étape importante dans les apprentissages des enfants. Le travail de l’écriture peut être décrit en trois mouvements : l’enfant exécute des gestes, perçoit leurs résultats et s’en fait une représentation. Il démarre dès les premières traces et se poursuit au long de l’existence sur différents supports. Ce travail est une expérience complexe dans laquelle se mêle le besoin de compétence (faire des choses, avoir un effet sur le monde), le besoin de maitrise (rester dans le cadre de la feuille, écrire sur la ligne) et le besoin de représentation (donner un sens aux traces). L’écriture manuscrite a été mise en lien avec la motricité fine, l’intégration visuo motrice visuelle et bilatérale, la planification des gestes, la proprioception, ou encore l’attention soutenue et une meilleure conscience de la main. La recherche a mis en évidence que les zones du cerveau qui sont activées par l’écriture manuscrite ne sont pas les même que celles qui sont activées par l’écriture au clavier. Il a été montré que la mémorisation est meilleure lorsque les notes sont prises à la main que lorsqu’elles sont prises avec un ordinateur. Cependant, ces résultats doivent être pris avec prudence. Tout d’abord, la supériorité de l’écriture manuscrite peut être un effet de l’habitude. La mémorisation est meilleure parce que les étudiants ont l’habitude de travailler ainsi.
Malheureusement, ces effets bénéfiques peuvent être gâchés parce que la qualité de l’écriture est souvent associée a la qualité de la personne. L’enfant qui écrit “mal” est dévalorisé. La mauvaise estime de soi qu’il construira à cette occasion aura ensuite des effets très négatifs sur son cursus scolaire. L’écriture et son enseignement sont pris dans des logiques sociales de classe. Ils sont mis au service d’un tri des individus selon des critères qui n’ont rien à voir avec les compétences scolaires
Qu’apporte l’écriture numérique ? Avec elle, on trouve bien les trois étapes de l’écriture manuscrite : exécuter un geste, percevoir les résultats et s’en faire une représentation. L’enfant qui appuie sur la touche A exécute un geste, il voit le résultat de son geste sur l’écran et il doit s’en faire une représentation.
L’écriture numérique est cependant différente de l’écriture manuscrite. Tout d’abord, elle soulage du fardeau de la belle écriture. Un A en Arial 11 sera toujours un A en Arial 11 et il se présentera toujours sous sa forme parfaite et idéale. Elle est libre de la culpabilité de ne pas pouvoir ou de la honte de ne pas savoir faire.
L’écriture numérique est ouverte. Les textes numériques peuvent être changés, transformés, modifiés. La page numérique permet de multiples repentirs et est donc plus respectueuse de nos pensées.
L’écriture numérique est hautement partageable. Elle est ouverte à l’écriture plurielle. Un texte est copié à la main a la vitesse de 20 mots par minutes en moyenne. La vitesse est de 40 mots par minutes avec un clavier. Les textes numériques peuvent être partagés sans difficulté puisque leur lecture est d’emblée évidente. Enfin, il est possible d’éditer simultanément ou de façon asynchrone un texte avec plusieurs personnes
L’apprentissage de l’écriture numérique met l’enfant au contact des dispositifs numériques. Dans les mondes numériques, tout commence avec un éditeur de texte. L’apprentissage de l’écriture numérique met donc l’enfant au contact d’un dispositif source du numérique. Il lui permet de découvrir les traitements de texte, leurs possibilités comme leurs limites. Cet apprentissage l’aide à construire une bonne littératie numérique.
Le numérique a également ses aspects problématiques. Un texte qui change sans cesse ne n’aide pas la pensée à s’arrêter. L’écriture numérique ne connait le plaisir de l’effort qui aboutit à la maitrise enfin achevée du geste qui permet de tracer un A majuscule. Enfin, l’écriture numérique est d’une très grande fragilité. Il nous est plus facile de lire des textes vieux de plusieurs centaines d’années qu’un texte écrit avec Wordstar 4.0 .
Cela signifie-t-il que tout est égal ? Que l’écriture numérique va remplacer valablement l’écriture manuscrite ? Je ne le crois pas. Cela signifie que plus nous nous avançons dans une société des écrans, c’est à dire une société qui privilégie la distance et la représentation, plus il est essentiel que les enfants aient dans les écoles et dans leurs foyers des expériences concrêtes, qu’ils jouent avec des manières, qu’ils collent et qu’ils découpent. L’intégration de ces premiers apprentissages est une étape critique pour pouvoir utiliser au mieux les dispositifs numériques
L’abandon de l’enseignement de l’écriture cursive est finalement bonne nouvelle pour plusieurs raisons
Tout d’abord, c’est reconnaitre que les compétences numériques s’apprennent. Savoir écrire est une compétence essentielle pour la civilisation du livre. Savoir écrire avec un clavier est une des compétences essentielles de la civilisation des écrans.
C’est ensuite prendre plus pleinement conscience de l’importance des premières manipulations avec les objets de la réalité concrête. Plus les mondes numériques se développent, plus une grande attention doit être portée aux tout-petits et à leur développement.
C’est enfin reconnaitre que les enfants ne naissent dans la culture numérique pas plus qu’ils naissaient dans la culture du livre. ils y sont introduits par les adultes. L’image du digital native qui parle la langue numérique sans avoir à l’apprendre est à situer à sa place : un mythe construit par les adultes et qui témoigne de leur refus de faire le travail de transmission de la culture.
McLuhan disait que les noirs avaient été saisis par l'écriture parce qu'elle avait littéralement arraché la sensibilité de l'oralité de leurs corps. Aujourd’hui, nous sommes tous des noirs saisis par l'écriture électronique
S'il n'y a plus d’apprentissage de l'écrit ça veut dire que pour la prise de note il faudra toujours un appareil à clavier à portée de main, même pour noter le prix d'un truc qu'on veut acheter ?
RépondreSupprimerIl faudra envoyer un mail ou un SMS pour demander à l'autre d'acheter le pain ou de mettre une machine en route en rentrant, ou laisser un petit bisou d'encouragement etc plutôt que de laisser un post it sur le frigo ?
Les jours de coupure de jus on fait comment ?
Pour signer un document officiel papier, il en reste encore malgré tout, on fera une croix ?
une tablette ou un portable c'est un peu plus encombrant qu'un stylo et un carnet non, pis parfois ça n'a plus de batterie.
Donc qu'on aille plus vite sur les bases de l'écriture manuscrite, qu'on ne s'attarde pas sur l'aspect esthétique de celle ci ok, qu'on entraîne au plus tôt à la dactylo pourquoi pas, même si je ne suis pas favorable au tout écran chez les jeunes enfants, mais qu'on supprime complètement le manuscrit je trouve cela d'une connerie monumentale.
Quid également de la reflexion en cours de rédaction ?
Y a qu'à voir les commentaires sous certains articles de presse ou le contenu de tweet et autre système de communication instantanée pour se dire que parfois un peu de réflexion avant de passer sur la touche enter ça aurai pu être bon :) .
Le manque d’entraînement à la dextérité manuelle pour l'écriture n'aura t il pas une influence sur le dessin par ailleurs ?
Mais je suis sans doute une vielle conne, mais je ne pense pas que l'éradication de l'un par l'autre soit une bonne idée, une meilleure cohabitation serai plus profitable.
Sans compter que cette évolution demanderai que chaque enfant au foyer ai son instrument numérique, il y a de nombreuses familles chez qui ça ne sera pas possible, on fait quoi de ces gamins ?
Je suis du même avis que vous Cécile et comme a dit le philosophe français Michel Serres «Les imbéciles ! Ils ne savent pas que l’écriture fait appel à des terminologies si raffinées, au bout des doigts, qu’elle prépare l’enfant aux plus subtils des travaux manuels, de la joaillerie à la chirurgie»
RépondreSupprimerBonjour. Michel Serres a également dit d'autres choses tout aussi éclairantes sur ce sujet. Notamment sur la prudence qui doit nous animer à chaque fois que nous avons le sentiment de "perdre" quelque-chose.
RépondreSupprimerJe vous invite chaleureusement à prendre connaissance du résumé de la conférence "Les nouvelles technologies, révolution culturelle et cognitive" qu'il donnait pour les 40 ans de l'INRIA, en... 2007. A mes yeux, cela reste plus que jamais d'actualité...
Voir http://goo.gl/9s6zh8
Notre civilisation est basée sur l'écriture, abandonner son apprentissage c'est précipiter la fin de notre civilisation.
RépondreSupprimer(Vous me direz, au point où nous en sommes...)
Cynisme mis à part, je pense que l'apprentissage de l'écriture est un rite difficile mais indispensable pour l'élaboration de la pensée.
L'abandon de cet apprentissage serait un pas de plus vers le formatage généralisé d'une population non pensante.
J'y vois un grand danger totalitaire.
Avant tout cet article devrait s'appeler "il faut enseigner l'écriture numérique" car il n'explique pas pourquoi cesser d'enseigner l'écriture cursive est une bonne nouvelle.
RépondreSupprimerPourquoi cette confusion ? Parce qu'on oppose systématiquement le numérique à l'analogique, au papier, ici à l'écriture cursive. Cet antagonisme est sans fondement, on rejoue les anciens contre les modernes. L'analogique n'est pas archaïque pas plus que le numérique ne va précipiter la fin de notre civilisation. L'information existe aujourd'hui sur les 2 supports et pour vivre dans ce monde il faut maîtriser les deux supports. Il y a effectivement urgence à enseigner le numérique, et bien plus que l'écriture ou l"utilisation d'une tablette ou de tel logiciel (cf. les nombreux écrits et dires de la nouvelle médaille d'or du CNRS : Gérard Berry) mais le fait numérique et ses règles pour pouvoir connaître et maîtriser les outils qui font en grande partie nos vies. En revanche il n'y a pas urgence à supprimer l'écriture cursive, le papier et la civilisation analogique, à aller en marche forcée vers une modernité qu'on ne maîtrise pas encore (effectivement : comment écrit-on quand il n'y a plus de quoi alimenter son outil numérique ?) et qui n'est pas à la portée de tous.
Je suis perdu dans cet article et je ne sais pas trop vers où l'auteur veut nous emmener... savoir ou plutôt apprendre à écrire avec ses mains, ses doigts, c'est indispensable à la construction de l'enfants mais tant mieux si on arrête parce que savoir écrire au clavier est indispensable au 21ème siècle, c'est ça ?
RépondreSupprimerPourquoi ne pas faire les 2 dans ce cas ?
J'ai cru comprendre que les Finlandais n'avait pas supprimer l'apprentissage de l'écriture cursive, mais qu'ils l'avaient dépriorisé au profit de l'écriture au clavier (http://www.generation-nt.com/ecriture-manuscrite-finlande-ecole-clavier-ordinateur-actualite-1909242.html).
Pour ma part (j'ai 33 ans) j'ai appris à écrire au clavier en CM1 (découverte du clavier) et à la machine à écrire (dactylographie) en 6ème et je me sens plutôt très à l'aise avec un clavier (moins avec les fautes d'orthographe...).
Pouvez-vous m'éclairer ?
Avec la disparition de l'usage de l'écriture cursive, nous risquons de perdre beaucoup en humanité et en émotion. L'écriture cursive est vraiment notre prolongement tant physique que psychologique ; elle porte nos émotions, nos élans amoureux ou coléreux, nos doutes et nos certitudes. Adieu à la magie de lettres formées par un être aimé, un être disparu (cf. les pleins et déliés des lettres du front des soldats de 14-18), un enfant devenu depuis adulte, etc. Adieu à notre émotion et notre intérêt littéraire à voir ou étudier le manuscrit d'un grand auteur. Adieu les traces de la Genèse d'une pensée scientifique ou littéraire. Imaginez ce que nous aurions perdu si Proust avait tout écrit ou fait copier par Céleste Albaret sur un clavier l'ensemble de la Recherche ? Notre pensée réduite à des polices de caractère interchangeables, quelle tristesse, quelle sécheresse, quel anonymat, quelle uniformité ! Comment authentifier l'auteur de lignes tapées au clavier ? Comment savoir si l'absence d'un "s" au pluriel est une "faute d'orthographe" ou un "faute de frappe" ? En somme, l'écriture cursive c'est nous, notre individualité (même au prix d'une cursive difficilement lisible). La disparition de la cursive, c'est la disparition d'une part de notre être. Quid des conditions matérielles de la partie écrite d'un concours avec des handicapés de la cursive ? Qui fournira les claviers dans toute la France et à la même heure ? Que faire en cas de panne ? La photographie n'a pas fait disparaître la peinture ; la télévision n'a pas fait disparaître le livre ; la voiture n'a pas fait disparaître la bicyclette. Faisons tout simplement cohabiter la cursive et la frappe au clavier. Selon les circonstances, laissons-nous la liberté de choisir l'une ou l'autre. Dernier point : la conservation de l'écrit tapé au clavier. Un disque dur, une clé USB ou un disque optique défectueux et tout disparaît souvent irrémédiablement. Songeons aussi à l'instabilité des impressions de nos imprimantes (cf. le texte collé à une vieille chemise en plastique et effacé de la feuille).
RépondreSupprimerAttention! Ce n'est pas l'écriture manuelle qui va être abandonnée mais l'écriture CURSIVE (en attaché!), les élèves apprendront donc à écrire en "lettres d'imprimerie"
RépondreSupprimerContrepoint fort utile à ce billet : http://www.laviemoderne.net/grandes-autopsies/89-ecrans-le-massacre-des-innocents
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