Le badass est très différent. Il n’est pas de haute lignée, il ne se révolte pas contre l’ordre du monde. Il est généralement occupé a des choses modestes. Sa vie n’a rien d’héroique. Lorsqu’il a un travail, il est souvent attaché aux taches les plus humbles, comme Casey Ryback, le cuisinier qui va s’opposer aux terroristes qui tentent de voler les charges nucléaires des missiles de croisière Tomahawk du cuirassé Missouri. Il n’est pas intégré dans une communauté et vit à l’écart, ou erre en vivant au jour le jour comme John Rambo. Le badass peut aussi être un policier qui veut juste passer de bonnes vacances de Noël Le badass peut également être une femme. Sara Connor, la mère de John Connor, est une terrible badass qui n’hésite pas à défier un le Terminator Cameron Philips. Ellen Ripley se révêle extremement pugnace et combat mano a mano contre la reine des Aliens. Viennent également à l’esprit la Fiancé (Kill Bill), Trinity (Matrix), Lara Croft (Tomb Raider) ...
Contrairement au héros, le badass n’est pas animé par le bien de la société. Il peut se battre au nom de la justice, de l’honneur, ou du courage. Il peut même se lancer dans les aventures les plus hasardeuses pour ces valeurs. Mais lorsqu’il se met en mouvement, c’est toujours au nom ses valeurs, et non celles de la société. Le badass est sans lien, sans famille. C’est un être solitaire et sans attaches véritables. Il ne connait pas d’autres lois ni d’autres motivations que celles qu'il se donne.
A l’opposé, le héros est toujours lié à communauté. Il est l’homme providentiel qui vient de nulle part lorsque le chaos et le mal menacent. Parfois, il émerge de la communauté qui est en danger. Mais qu'il vienne de l'extérieur ou qu'il soit trouvé dans la communauté, le héros toujours met ses talents au service de la communauté. Il se bat contre une injustice, et établit un ordre nouveau. Le badass peut être aussi être héroique, et il l’est d’ailleurs souvent. Ce qui fait la différence entre le héros et le badass est que le premier se dresse (contre l’injustice, le mal, la pauvreté…) tandis que le second se retourne (contre celui qui l’a attaqué)
Par exemple, John Rambo ne déclenche l'apocalypse qu’à partir du moment ou ses adversaires versent le premier sang. Tant que ce point n’est pas atteint, il endure les humiliations et les coups avec une passivité étonnante. Le seul mouvement qu’il s’autorise est la fuite. Il n’est jusqu’à ce moment aucunement question de courage ou d’honneur. Jusqu'a ce que le (premier) sang versé soit le signal du déclenchement d’une apocalypse qui menace de détuire la ville entière.
Le badass ne fait finalement que réagir à quelque chose qui est lui et fait. Avec la figure du héros, c’est la communauté qui est en désordre. Avec le badass, le désordre est dans le héros. Sa routine est perturbée, et et s’il agit ce n’est pas pour sauver le monde, mais revenir à l’état d’équilibre dans lequel il se trouvait. Lorsque le colonel Trautman rend visite aux forces de police qui se préparent a lancer l’assaut contre John Rambo, il les averti :
Anything *you're* gonna throw at him, he's been through a hundred times worse! In WORSE places than this!
La ou le héros fait le plus souvent preuve d’ingéniosité pour vaincre un adversaire plus puissant que lui, le badass utile les même armes que l’adversaire. Il tape quand il a été tapé. Il tue quand il a été menacé de mort, ou laissé pour mort. Il humilie lorsqu’il a été humilié. Avec le badass, il n'y a d’invention, mais un changement d’échelle. Là ou le héros se dresse, créant de nouveaux ordres symboliques par ses victoires, le badass se retourne. Son action est circulaire et auto-restauratrice.
- Quelques mécanismes de défenses soutenus par le badass
Plusieurs mécanismes psychologiques sont en jeu avec la figure du badass le retrait apathique, le retournement, l’identification à l’agresseur
Le retrait apathique correspond à des attitudes d’indifférence affective, de restriction des relations sociales et des activités extérieurs. La personne se soumet passivement aux événements ce qui est, en en sens, un mécanisme d'adaptation puisque cela lui permet de supporter les situations les plus difficiles. La personne se forme une carapace d’insensibilité. Elle semble vivre dans une bulle et se dit/pense plus concernée par les événéments du monde extérieur. Cette défense est souvent la dernière ligne de défense utilisable par la personne.
Pour le badass, le retrait apathique est une manière de protéger le monde extérieur. Dans son mutisme, il est activement occupé à réprimer son agressivité. Les échanges avec le monde extérieur sont limité car tout lien est potentiellement contaminé par la destructivité. Parler à quelqu’un c’est déjà une ouverture au monde, et à partir de là, la possibilité pour la pulsion aggressive de se frayer un chemin et à partir de là ne plus pouvoir être maitrisée
Le retournement en son contraire consiste à remplacer un mouvement de désir par un désir qui lui est oppose. Il peut s’agir d’attitudes psychologiques complexes, comme lorsque la personne passe du masochisme au sadisme, ou de l’exhibitionnisme au voyeurisme. Le badass suit ce trajet qui le conduit de la passivité à l’activité, du masochisme au sadisme et de l’exhibitionnisme au voyeurisme. Au début du récit son corps est exposé à mille souffrances. Le badass retrouve ici les figures sacrificielles mythiques comme Rémus, Quezacoalt, Mithra, ou le Christ. ( Voir Mystique du masochisme http://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2005-3-page-13.htm ) Dans un second temps, il n’est plus celui qui reçoit la souffrance, mais celui qui la donne. L’humiliation et la souffrance changent de camp. L’extraordinaire passivité du badass se transforme en une capacité inouie de destruction. Le plaisir d’exhiber plaisament ses plaies au monde se transforme en plaisir de voir ses ennemis souffrir. Le badass aime voir la souffrance chez ses ennemis. Max Rockatansky attache une personne avec des menottes et une scie a métaux. Il lui laisse le choix entre couper la chaine d’acier ou se couper la main. Dans le premier cas, la mort est certaine, puisqu’une bombe a retardement va bientot échapper. Dans le second cas, s’il est assez rapide, il aura peut-être la vie sauve. Dans tous les cas, la souffrance morale et psychique est au rendez vous.
John Rambo est une figure du retournement. Il a d’abord été un civil transformé en machine de guerre par des militaires. Sur les champs de bataille, il a du faire des choses avec lesquelles il n’était pas d’accord - d’ou le fameux “c’était pas ma guerre ! C’est vous qui m’avez appelé, pas moi!”. Le retour à la vie civile reste difficile. Il garde les oripeaux de sa vie passées (veste et sac militaires, couteau de combat). Enfin, dans son conflit avec le shériff, il retourne contre son propre camp ce que l’armée lui a enseigné. Le retournement n’est cependant pas total. Rambo dirige sa violence et sa haine contre la garde nationale et les forces de police. L’armée, représentée par le colonel Trautman, garde sa confiance.
L’identification à l’agresseur désigne le fait qu’une personne s’identifie à la personne qui l’a agressé en reprennant à son compte l’agression telle quelle, en imitant physiquement ou moralement la personne de l’agresseur ou en adoptant certains symboles de puissance qui la caractérisent. Le mécanisme comporte donc deux temps. Dans un premier temps la personne prend en elle des caractéristiques de la situation d’agression, et dans un second temps elle met en jeu ces caractéristiques dans le monde extérieur
- Quelques thèmes liés à la figure du badass
Le badass est d’abord quelqu’un qui prend des coups. Il est exposé à la violence humaine et souffre mille morts. Ce n’est qu’après qu’il rend coup pour coup. John Rambo est traité comme un animal, John McLane rampe dans des conduits étroits au milieu de morceaux de verre brisé. Tous les badass passent par des moments d’humiliation. Etre un badass c’est d’abord jouir masochiquement. Si le badass est un “dur à cuire” c’est d’abord parce qu’il faut le cuisiner longtemps.
Le badass passe toujours par un moment ou il est livré à des supplices lents et raffinés. La souffrance n’est pas seulement physique. Elle est aussi morale. Le ou les tourmenteurs rappellent au badass a quel point il est a leur merci. On retrouve dans ces scènes l’imagerie des fantasmes sado-masochismes : l’enchainement, les coups, les humiliations, l’avilissement, l’abandon, l’agonie, le sentiment d’abandon.
Jouer un badass : l’excitation perpétuelle
Le badass, c’est l’assurance d’une excitation perpétuelle. Battu, frappé, brûlé, humilié… le badass n’a pas ces moments de vide et de doute que connait le héros. Il y a une raison à ce besoin d’excitation perpétuelle. Le badass est déjà mort. Psychiquement, il n’a plus l’énergie nécessaire pour désire
John Rambo : Sir I'm alive, it's still alive, ain't it?
Le badass a été brisé dans des événéments antérieurs. Il a généralement perdu ses figures d’attachement : sa femme a été tuée dans des circonstance terribles, tous ses amis sont morts à la guerre, ou plu banalement, il vit un divorce difficile. Dans le processus de deuil qui s’en est suivi, il a également perdu ses illusions. Aussi, les coups qu’il recoit sont bienvenus. Ils le ramènent à la vie. Durement mais surement, les coups et les blessures de ses ennemis le ramènent à la nécessité de désirer. On retrouve ici la fonction protectrice du masochisme dont parlait Bennon Rosenberg (Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie) ; le plaisir masochiste protège de la peine qui serait vécue si la dépression était pleinement expérimentée.
Jouer un badass : la fin de l’imago paternelle
Les badass se multiplient du fait du déclin de l’imago paternelle. Le héros est une figure du temps paternelle. Classiquement, c’est un guerrier qui combat une figure de establishment avant de devenir à son tour roi ou tyran. Les roi et les tyrans écrasent peut etre leurs fils, mais il leur permettent de vivre en paix, parce qu’ils concentrent sur eux toute l’agressivité des enfants. Lorsque les pères disparaissent, les fils sont livrés à leur frérocité.
David Dunn (Incassable) est un badass. Seul survivant d’un catastrophe ferrovière. Il découvre peu a peu que son corps est indestructible. Sa carapace est si épaisse qu’il n’a jamais été malade une seule fois dans sa vie.
- Le fantasme du badass
Résumons-nous : le badass est un “dur-à-cuire”. Il s’est constitué une carapace du fait de la répétition d’événements traumatiques. Il est généralement très lent a réagir, et semble même apathique. Il ne commence à réagir que lorsque le sang risque d'être versé.Finalement, le badass me semble exemplaire d’un fantasme. Celui d’un fils qui ne se laisse pas pénétrer par les idées du père. S’il a le cuir épais, c’est pour ne pas être imprégné par le monde environnant. Le badass veut se suffire à lui-même. Il est économe de mots, car parler c’est déjà s’affaiblir. Il vit en reclus dans la société ou à l’écart car être en contact avec des personnes c’est déjà former un lien.