vendredi 16 novembre 2012

Objets numériques et adolescence riment avec culture

Digital Gutemberg

Le  fait que les enfants soient de plus en plus souvent possesseurs d’objets numériques comme des smartphones et des ordinateurs apporte des parfois des froncements de sourcils de la part de psychologues et d’éducateurs. Quelques spécialistes de l’enfance et de l’adolescence s’inquiètent en effet du bon développement des jeunes digiborigènes. Accéder partout et à n’importe quel moment à des objets numériques serait préjudiciable à leur développement : “les enfants ne savent plus attendre, tout est accessible, le plaisir est immédiat, ils ne s’ennuient plus” sont alors les choses que l’on peut attendre.

Il y a là quelques confusions. D’abord, le fait de posséder un ordinateur ou un iPhone n’est pas un remède contre l’ennui. Il est possible de s’ennuyer, même en jouant avec un jeu vidéo. Ensuite, l’ennui est une situation difficile qui n’est pas structurante en soi. Ce qui est structurant, c’est de penser l’absence, ou l’’impossibilité qui ont conduit au vécu d’ennui.

Par ailleurs, l’accessibilité de plus en plus grande des média n’est pas en soi une une nouveauté ni même une mauvaise nouvelle.Le philosophe Paul Valery a réfléchi sur les changements qu’il observait à l’horizon des années 30. L’espace et le temps étaient rapidement transformés du fait du progrès des techniques de la communication.  Valery s’en réjouit, car il voit là des occasions renouvelées de profiter des bienfaits de œuvres ou que l’on se trouve et imagine un futur qui n’est pas sans évoquer notre quotidien :

“Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au
moindre geste, presque à un signe”

Le philosophe n’y voit pas un obstacle à la pensée, mais un élargissement de la culture.

“Naguère, nous ne pouvions jouir de la musique à notre heure même, et selon notre humeur. Notre jouissance devait s’accommoder d’une occasion, d’un lieu, d’une date et d’un programme. Que de coïncidences fallait-il ! C’en est fait à présent d’une servitude si contraire au plaisir, et par là si contraire à la plus exquise intelligence des œuvres. Pouvoir choisir le moment d’une jouissance, la pouvoir goûter quand elle est non seulement désirable par l’esprit, mais exigée et comme déjà ébauchée par l’âme et par l’être, c’est offrir les plus grandes chances aux
intentions du compositeur, car c’est permettre à ses créatures de revivre dans un milieu vivant assez peu différent de celui de leur création. Le travail de l’artiste musicien, auteur ou virtuose, trouve dans la musique enregistrée la condition essentielle du rendement esthétique le plus haut"
Paul Valery

Peut-être est ce que les Cassandre d’aujourd’hui qui craignent que Google ne nous rendent stupide pourraient s’en inspirer ? Ce n’est pas Google qui rend stupide. Ce qui est stupide, c’est de ne pas s’en servir. Avoir des contenus numériques a portée de main multiplie les occasion de contact avec des savoirs et des connaissances, et donc les occasion de rencontre avec la culture

vendredi 12 octobre 2012

Que trouvent les enfants dans les jeux vidéo

Diana-Fortune-Hidden-Treasure

Les enfants trouvent trois motifs de satisfaction dans les jeux vidéo. Le premier est de pouvoir être quelqu’un d’autre. Le second est de se valoriser. Le troisième est de rêver. C’est en (re)connaissant avec l’enfant les éléments positifs qu’il trouve dans les jeux vidéo qu’on peut l’aider à reconnaitre les mésusages.

Etre quelqu’un d’autre

Jouer à un jeu vidéo, c’est endosser une autre identité. C’est donc d’une certaine façon se cacher à soi-même et apparaitre autrement. Les jeux vidéo permettent ainsi de retrouver les vieux plaisir du caché-trouvé. Le plaisir éprouvé est à l’image du risque encouru : “se cacher est un plaisir, disait le psychanalyste Winnicott. Ne pas être trouvé est une catastrophe”. Lorsque l’enfant s’engage dans l’identité prêtée par le jeu, il éprouve le plaisir de disparaitre comme soi mais aussi l’angoisse de ne plus réapparaitre identique à lui même

Se valoriser

Le second plaisir des jeux vidéo est qu’il permet de se valoriser. L’enfant s’éprouve comme compétent. Il peut réaliser de grandes choses dans le jeu. Le plaisir n’est pas tellement différent de celui de l’enfant qui a réussi un beau dessin. Pour l’enfant, il est facilité par le fait que le jeu prend en charge la production des images. La valorisation se produit également dans les rapports que l’enfant établit avec les autres joueurs. Les jeux multi-joueurs sont ici particulièrement importants car l’enfant apprend que s’il est meilleur que d’autres dans tel secteur de jeu, il a besoin de ses compagnons de jeu pour progresser dans la partie

La valorisation concerne aussi des aspects de la personnalité de l’enfant. L’enfant qui souhaite être admiré pour ce qu’il a réalisé n’est pas nécessairement narcissique. Le plus souvent il demande que l’adulte valide les composantes de soi qui ont été activées dans le jeu. Un enfant peut ainsi demander à ce que son opiniâtreté ou son courage soient reconnus et c’est souvent un bon service qui lui est rendu

Rêver

Les jeux vidéo sont des expériences comparables au rêve. D’abord, parce que l’on y fait des choses que l’on ne peut faire que dans des rêves. Etre un Rambo indestructible, faire apparaitre des objets de nulle part, changer de corps… tout cela est banal dans les rêves et impossible dans la réalité. Ensuite, les jeux vidéo nécessitent de suspendre son jugement quant à la réalité. La question de savoir si ce que l’on perçoit est vrai ou faux ne se pose plus. Chacun a a décider de croire ou ne pas croire aux images.

 

Plutôt que de lutter contre les jeux vidéo et de prévenir les enfants de leurs “dangers”, il est bien plus préférable de comprendre ce que les enfants y trouvent. L’avantage de cette façon de faire est de présenter les problèmes comme des mésusages et de pré verser le dialogue avec l’enfant. Elle aide l’enfant à identifier ce qu’il cherche dans les jeux vidéo, et l’encourage a construire des usages constructifs.

mardi 9 octobre 2012

Pourquoi les très jeunes enfants aiment les tablettes ?

Kid Tablet

Il est assez facile de constater que les très jeunes enfants apprécient les tablettes tactiques. Ils semblent nouer un lien particulier avec ces machines comme s’ils savaient s’en servir naturellement.

Ce n’est bien évidement pas le cas. Chez l’humain, le savoir est toujours construit. L’idée d’un nourrisson savant sachant d’emblée utiliser les objets du monde des adultes est une construction imaginaire due en grande partie à la facilité d’utilisation des machines numériques.

Le fait que l’on ne naisse pas digiborigène mais qu’on le devienne laisse ouverte une question : pourquoi est ce que les très jeunes enfant aiment autant les tablettes ?  Pourquoi est ce qu’ils semblent avoir autant de fun ?

Pour répondre à cette question, il faut examiner le vaste  monde des jouets. Dans la grande majorité des cultures, des objets sont donnés aux enfants pour jouer. Il s’agit d’objets produit dans une variété de matériaux (terre, peaux, plumes, bois, cordes,  plastique…). Les jouets sont plus ou moins réalistes, complexes, proches de l’environnement familier des enfants.

Il existe des jouets qui sont des reproductions des objets du monde des adultes (le téléphone, la dinette), d’autres sont des imaginaires prêts à jouer (les univers playmobils). Enfin, certains objets ne sont des jouets que parce que utilisés comme tels par les enfants (le bâton comme canne à pêche)

Les jouets les plus prisés par les enfants ont des caractéristiques relativement stables. Ce sont des jouets qui peuvent être utilisés de plusieurs manières. Ils appartiennent à l’univers  habituel de l’enfant. Ils facilitent la narration.

La première caractéristique rappelle que les jouets doivent être suffisamment ouverts pour que les enfants puissent s’y projeter. Un bâton peut être utilisé comme une canne, un fusil, un cheval, une baguette magique… Ces qualités sont préférentiellement investies par les enfants plus plus jeunes qui y exercent leurs schèmes d’action, leur coordination occulo-motrice, et leurs capacités à raconter des histoires.

La familiarité multiplie les occasions de contact avec l’objet et donc les possibilités de jeu. Plus le jouet est accessible, plus il est joué. La familiarité encourage également les jeux d’imitiation. Avoir une dinette donne envie de jouer à faire la cuisine comme ses parents

Enfin, les objets-univers aident grandement à la narration d'histoire, et soutiennent donc le processus du jeu. Que serait Rody sans Pil Poil ? Les cowboys sans les indiens ?

Ces caractéristiques sont également celles des tablettes. Les tablettes sont de merveilleux couteaux suisses qui permettent de faire du dessin ou de la musique. Le regarder et le toucher sont sollicité et donnent aux enfants des occasions d’exercer leurs schèmes d’action

Elles sont librement accessible. Les tablettes sont quotidiennement utilisées par les adultes, et le plaisir qu’ils prennent à leur contact encouragent les enfants à les utiliser. il n’y a pas d’opération complexe a faire pour l’utiliser. Il suffit d’appuyer sur un bouton, puis sur une icone.

Enfin, les tablettes contiennent des univers de narration. Les jeux sont en soi des narrations. Certaines sont données explicitement à l’enfant comme lorsqu’il rencontre des personnages qu’il connait déjà sur d’autres média. D’autre nécessitent de sa part un travail de mise en histoire.

Ce sont les qualités des tablettes qui en font des objets particulièrement appréciés par les enfants.  Elles sont suffisamment versatiles, familières et ouvertes aux narrations pour que les enfants trouvent plaisir à s’y raconter et s’y rencontrer.

samedi 25 août 2012

Un nouveau système classe intelligemment les média

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Common Sense Media a mis en place un nouveau système de classement des média. La logique n’est plus celle de la censure qui interdit l’accès à un contenu en fonction d’un âge. Elle examine ce que le média peut apporter en termes de compétences cognitives, affectives ou sociales.

Le site permet de chercher un média en fonction de l'âge, d’un domaine (lecture, écriture; maths, sciences…) et d’une compétence (raisonnement, créativité, collaboration,communication…)

Common Sense Media classe également les films en donnant des indications précieuses. Les contenus violents, ou sexuels et l’utilisation de toxiques comme l’alcool ou la drogue ont bien évidement évalués, mais également la présence de modèles positifs, les messages positifs et le consumérisme

Les compétences évaluées sont les suivantes

  • Raisonnement : logique, stratégie, résolution de problème, pensée critique, pensée analytique
  • Créativité : développement de nouvelles solutions, nouvelles créations, innovation
  • Autonomie : motivation, prise d’initiative, effort personne, apprendre à apprendre
  • Développement émotionnel : conscience de soi, gestion du stress, résilience, empathie, mise en perspective
  • Collaboration : esprit d’équipe, prise en compte du point de vue de l’autre, coopération
  • Responsabilité et éthique : intégrité, respect, prise en compte des différence, prise en compte des conséquences
  • Compétences techniques : création numérique, évaluation des média, utilisation des média sociaux
  • Santé : mouvement, fitness, motricité fine, psychomotricité, santé psychique et mentale

Pour les parents et les éducateurs, ce nouveau classement est d’une grande aide puisqu’il permet de mieux comprendre ce que les enfants peuvent trouver dans un média. Il est largement plus intelligent et plus utile pour l’enfant que de se demander quelles compétences sont sollicitées un média plutôt que de procrastiner sur ses risques éventuels

Plus d’infos http://www.commonsensemedia.org/about-us/our-mission/about-our-ratings

Le digiborigene moyen est un homme vieillissant

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Pingdom vient de publier une série de données très intéressantes sur la démographie du cyberespace . Les grands réseaux sociaux ont été concernés par l’enquête puisque l’on retrouve Facebook, Twitter, LinkedIn, Pinterest, Tumblr,Reddit, Hacker News, Slashdot, Github, Stack Overflow, Orkut, Quora, WordPress.com,Blogger, Flickr, Myspace, Tagged, Hi5, LiveJournal, Yelp, deviantART, StumbleUpon,Goodreads et Last.fm. Exception notable : Google plus

Un bémol : les données sont américaines.

On constate que le cyberespace est plutôt âgé et que les hommes sont majoritaires.

  • Linkedin a les utilisateurs les plus âgés
  • L'âge moyen de Facebook est 40,5 ans
  • L’âge moyen de Twitter est 37,3 ans
  • Facebook vieillit et Twitter rajeunit
  • Les réseaux sociaux sont plutôt masculins (71% ont plus d’hommes que de femmes)
  • Slashdot (87%), Hacker News (77%) et Stack Overflow (76%) sont les sites les plus masculins
  • Pinterest (79%), Goodreads (70%) et Blogger (66%) sont les sites les plus féminins
  • Facebook et Twitter comptent 40% d’hommes et 60% de femmes

 

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samedi 4 août 2012

Le plaisir lié à la violence dans le jeu vidéo est réel

Le plaisir lié à la violence dans le jeu vidéo est réel" nous dit la psychologue Yvane Wiart.

Elle a raison.

Je suis Chasseur Tauren sur World of Warcraft. Et un de mes grands plaisirs de pouvoir être agressif et violent. Je farme régulièrement le cuir à Tol Barad, et je ne supporte pas la présence du moindre Ally. Je charge sans distinction tout membre de la faction adverse. Je ne me soucie pas de son équipement, ni de sa classe, ni même qu’il s’agisse d’un individu isolé ou d’un groupe.

J’attaque sans avertissement. Je cède au plaisir de l’ivresse du combat. Je suis toujours prêt à une nouvelle bataille. D’ailleurs, je farme en full stuff PvP ce qui est un message adressé à tous les Ally à la ronde : vous n’êtes pas bienvenus. C’est bien entendu agressif et même parfois violent. C’est ce que j’aime. J’aime avoir les deux sabots ancrés dans la terre d’Azeroth, décocher mes flèches tandis que mon fidèle compagnon Aragne l’immobilise de sa toile. J’aime sentir le calme de mon Entrainement de Sniper me permettre de faire davantage de dégâts. J’aime voir l’Ally marcher vers moi, et tomber dans mon Piège de Givre, et entrer dans la zone mortelle des 30% de points de vie qui me permettront de décocher Tir Mortel

J’aime être méchant et vicieux. J’aime tuer ingame. J’aime endormir mes victimes d’une Piqure de Wyverne et me moquer d’elles.J’aime camper mes victimes. J’aime les attaquer encore et encore. J’aime imaginer leur agacement lorsqu’ils rez pour la troisième fois et qu’ils me trouvent encore sur leur chemin. J’aime les voir, finalement, renoncer à combattre. Cela ne m’empêche pas de les tuer une fois encore. Je tue à vue tout Ally que je crois. La règle ne souffre aucune d’aucune exception. J’attaque tout Ally quelque soit sa classe, son niveau, ou même son nombre. Individus et groupes reçoivent le même traitement.

Le plaisir de ces charges sauvages n’est pas si éloigné de celui du jeu d’échecs  “ Le moment que je préfère le plus dans une rencontre, disait Boddy Fischer, c'est celui où je sens que la personnalité de l'adversaire se brise.” Le PvP ouvre exactement sur ce type de plaisir; On sent le moment ou l’autre renonce. Il n’y croit plus. Il est vaincu. Il est brisé.

Les échecs comme les jeux vidéo sont des mises en scènes des conflits internes que chacun mène en son for intérieur. Les différentes pièces de l’échiquier sont investies imaginairement comme enfants (pions), ou figures parentales (Roi, Reine) ou dotés d’attributs (la puissance de la Tour, le caractère erratique du Cavalier etc.). La position de départ dans un MMO est donnée par le personnage de jeu. Chacun investi le personnage en fonction de son apparence  : la lourde armure des guerrier, le tissu des mages et des prêtes et de son style de combat (corps à corps vs distance). Dans le combat, il est possible de sentir le courage dont on fait preuve, ou sa tendance au défaitisme. Il est possible de vivre pleinement ces émotions, et donc de pouvoir mieux prendre conscience de son propre fonctionnement parce qu’il s’agit d’un jeu.

vendredi 13 juillet 2012

Facebook chasse les pédophiles, et se trompe de cible

Dublin, , Ireland

Dans un court article, Zdnet annonce que Facebook a mis en place un système de surveillance de ses utilisateurs avec comme but explicite de repérer les activités criminelles. Les pédophiles seraient activement recherchés avec comme clés les relations “lointaines” : discussions entre des personnes qui ne sont pas amies, grande différence d'âge, éloignement géographique …

Je suis certain que Facebook utilise d’autres critères. Cependant, à lire ceux qui sont donnés, on se fait la réflexion suivante : dans la grande majorité des cas, l’adulte pédophile est un proche ou un intime de l’enfant. Il s’agit d’un éducateur, d’un professeur, ou d’un membre de la famille.

L’éloignement n’est donc pas ici l’élément décisif.

En ce qui concerne l’Internet, Facebook n’est pas l’espace sur lequel les adultes pédophiles rencontrent les enfants. D’une façon générale, les rencontres ont davantage lieu sur les chat rooms que sur les sites de réseaux sociaux.

Pourquoi chercher en regardant au mauvais endroit ? Quel intérêt avons-nous à transformer l’Internet en un lieu de paniques et de surveillance généralisé ?

 

 

 

pdf-file-logo-icon (1)Wolak, Finkelhor, Mitchell - 2008 - Is talking online to unknown people always risky Distinguishing online interaction styles in a national sample of youth Internet users