Le fait que les enfants soient de plus en plus souvent possesseurs d’objets numériques comme des smartphones et des ordinateurs apporte des parfois des froncements de sourcils de la part de psychologues et d’éducateurs. Quelques spécialistes de l’enfance et de l’adolescence s’inquiètent en effet du bon développement des jeunes digiborigènes. Accéder partout et à n’importe quel moment à des objets numériques serait préjudiciable à leur développement : “les enfants ne savent plus attendre, tout est accessible, le plaisir est immédiat, ils ne s’ennuient plus” sont alors les choses que l’on peut attendre.
Il y a là quelques confusions. D’abord, le fait de posséder un ordinateur ou un iPhone n’est pas un remède contre l’ennui. Il est possible de s’ennuyer, même en jouant avec un jeu vidéo. Ensuite, l’ennui est une situation difficile qui n’est pas structurante en soi. Ce qui est structurant, c’est de penser l’absence, ou l’’impossibilité qui ont conduit au vécu d’ennui.
Par ailleurs, l’accessibilité de plus en plus grande des média n’est pas en soi une une nouveauté ni même une mauvaise nouvelle.Le philosophe Paul Valery a réfléchi sur les changements qu’il observait à l’horizon des années 30. L’espace et le temps étaient rapidement transformés du fait du progrès des techniques de la communication. Valery s’en réjouit, car il voit là des occasions renouvelées de profiter des bienfaits de œuvres ou que l’on se trouve et imagine un futur qui n’est pas sans évoquer notre quotidien :
“Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au
moindre geste, presque à un signe”
Le philosophe n’y voit pas un obstacle à la pensée, mais un élargissement de la culture.
“Naguère, nous ne pouvions jouir de la musique à notre heure même, et selon notre humeur. Notre jouissance devait s’accommoder d’une occasion, d’un lieu, d’une date et d’un programme. Que de coïncidences fallait-il ! C’en est fait à présent d’une servitude si contraire au plaisir, et par là si contraire à la plus exquise intelligence des œuvres. Pouvoir choisir le moment d’une jouissance, la pouvoir goûter quand elle est non seulement désirable par l’esprit, mais exigée et comme déjà ébauchée par l’âme et par l’être, c’est offrir les plus grandes chances aux
intentions du compositeur, car c’est permettre à ses créatures de revivre dans un milieu vivant assez peu différent de celui de leur création. Le travail de l’artiste musicien, auteur ou virtuose, trouve dans la musique enregistrée la condition essentielle du rendement esthétique le plus haut" Paul Valery
Peut-être est ce que les Cassandre d’aujourd’hui qui craignent que Google ne nous rendent stupide pourraient s’en inspirer ? Ce n’est pas Google qui rend stupide. Ce qui est stupide, c’est de ne pas s’en servir. Avoir des contenus numériques a portée de main multiplie les occasion de contact avec des savoirs et des connaissances, et donc les occasion de rencontre avec la culture
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