Une image publiée par Le Monde suscite beaucoup d’émois. On y voit un soldat de l’armée français portant sur la tête un foulard sur lequel est imprimé une tête de mort. Le foulard couvre le bas du visage, tandis que le haut du visage est couvert par des lunettes de protection.. La pièce de textile donne une image “glaçante” du soldat, et a donné lieu à une réaction de l’état- major qui juge “inacceptable” un tel comportement.
Le foulard vient d’un Personnage Non Joueur de Modern Warfare II, le Lieutenant Simon "Ghost" Riley, ce qui a laissé quelques uns avancer que la culture des jeux vidéo a le tort d’esthétiser la violence. Le foulard du Lieutenant Simon "Ghost" Riley montre que les gamers sont en âge d’être sur des champs de bataille. Mais il appelle aussi d’autres remarques.
Les guerriers ont toujours pris soin d’avoir l’air redoutables sur les champs de bataille. Pour impressionner leurs ennemis, ils portaient des armures, des casques ou des parures terrifiantes. Mais ce soucis d’inspirer la terreur a toujours été accompagné d’un autre soucis : celui de paraitre beau. Les flying jackets des pilotes de la RAF sont aujourd’hui encore un modèle d’élégance et même un homme post-moderne apprécie la beauté du casque d’un hoplite. “L’esthétisation de la violence” que certains semblent craindre en voyant cette image n’est donc pas une chose nouvelle.
Communiquer la terreur
Les soldats ont deux types d’uniformes : un uniforme de combat, dans lequel ils font leur travail de combattant, et un uniforme d’apparat. Dans ce dernier cas, la tenue perd sa fonction de camouflage et de protection pour une fonction de communication. L’uniforme dit alors les faits d’armes du régiment ou de l’armée. Par les médailles et les grades, il témoigne des actions passées du soldat. Il se fait solennel et appelle au respect.
C’est cette fonction de communication qui apparait avec ce crâne grimaçant. Le vêtement est une parure dont les origines remontent sans doute au trophée de chasse. Qui porte une peau d’ours indique qu’il fait sienne la puissance de la bête qu’il a tué. Qui porte une peau de lion devient lui même un lion. Qui porte une tête de mort qu’il qu’il est lui même la mort. Il indique a l’ennemi qu’il ne voit pas un autre homme, mais seulement le visage de sa propre mort
Communiquer avec soi-même
Le costume n’a pas seulement une fonction de communication. Il est un dialogue que l’on tient entre soi et soi-même. Il est une sorte de discours intérieur dont nous nous enveloppons avec comme gain possible le fait de mieux comprendre ce que nous visons et pensons dans le fort de nos pensées
Un foulard avec une tête de mort n’est pas seulement un foulard avec une tête de mort, surtout si l’on est sur un champ de bataille. Il dit à tous ce qui n’est jamais dit en paroles : l’angoisse de la mort, les idées terribles que l’on peine à contenir pour soi, et qui ne peuvent être partagées en mots avec personne, le ventre noué,
Cette tête de mort dit aussi l’inavoué, voir l’inavouable. Elle dit que la guerre procure une excitation à une intensité que peu d’expériences peuvent atteindre. Qu’elle vous fait connaitre la solidarité comme aucune chose au monde ne pourra vous faire connaitre. Elle dit la fascination que nous avons tous pour la figure du guerrier, qu’il s’agisse du guerrier protecteur ou de celui qui porte l’assaut.
Prendre une position psychique
Les objets ne sont pas seulement les porte-parole de nos états internes. Ils peuvent aussi nous aider à adopter des attitudes psychiques. C’est d’ailleurs la fonction de l’uniforme que de faire abandonner à chacun ce qu’il peut avoir de personnel et adopter par tous des comportements, des idées ou des émotions. Prendre sur soi un objet, c’est aussi se préparer a laisser diffuser en soi l’imaginaire qu’il contient. Porter un foulard avec une tête de mort, c’est aussi se préparer à porter la mort. C’est abandonner ce que l’on est – un fils, un amant, un camarade de jeu, un père de famille, peut-être – pour devenir quelque chose d’autre - un guerrier, un compagnon de guerre, un chien de guerre qui tue non pas pour assurer sa sécurité ou celle des siens, mais simplement parce qu’on lui a demandé de le faire.
Posez vous la question : si vous aviez à affronter la dure solidarité des hommes au combat, si vous aviez à tuer d’autres hommes, si vous aviez à faire ce que les autres hommes ne font jamais et que vous devrez en même temps, garder toute votre humanité, refuserez-vous l’aide de quelques artifices ?
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