Alors que les clowns sont traditionnellement associés au rire et au plaisir, certains enfants manifestent des signes de frayeur intense à leur vue. En 2008, l'Université de Sheffield a publié les résultats d’une enquête portant sur 250 enfants ages de 4 à 16 ans montrant que la plupart d’entre eux n’aimaient pas ou avaient peur des clowns. Un des auteurs de l’enquête, le Docteur Curtis, parle même d’une “aversion universelle ”. Deux séries de données permettent de mieux comprendre cette crainte des clowns. La première s’appuie sur le personnage lui-même et la seconde sur des éléments de psychologie du développement.
Comment passe t-on de l’image du clown jovial au rictus grimaçant du clown maléfique ?
Le clown fait partie de la grande famille des amuseurs. Les bouffons, les Harlequin, les saltimbanques et autres tricksters appartiennent à toutes les cultures et toutes les époques. On les retrouve dans les fables et légendes partout dans le monde. Les pharaons de l’Égypte antique, les empereurs chinois et les rois des cours européennes s’amusaient de leurs facéties. Les histoires de Leuk le lièvre ou de Goupil font rire aux larmes les enfants et les adultes. Le Clown est un personnage de la limite, de la frontière, du bord. Il côtoie les cours, il est l’intime des rois, mais il n’est ni noble ni roi. Il est un articulateur
Les déterminants culturels
On peine aujourd'hui à se représenter la popularité que le clown a pu avoir au 19e. Dans la biographie qu’il consacre au clown Joseph Grimaldi Andrew McConnell Stott montre comment l'image du clown s'est peu à peu modifiée. On doit a Joseph Grimaldi le costume du clown Auguste tel qu’on le connait aujourd’hui. Il impose les habits bizarres et colorés ainsi que le port d’une perruque colorée. Son jeu est à l’image de son costume. Il se bat contre lui mème. Il est la dérision même. Andrew Scott montre que la face privée de Grimaldi était à l’opposé de la figure du clown. Rien, ou presque, dans sa vie, n’inspirait le sourire. Enfant, il est maltraité par son père. Il connait des accès de dépression, sa femme meurt en donnant naissance à son fils se suicide à l’âge de 31 ans après avoir été un clown alcoolique. Ses cascades qui amusaient tant le public lui laisseront des douleurs toute sa vie. il meurt ruiné et alcoolique en 1837
Pour Andrew Mc Connell, le clown maléfique a été créé par Charles Dickens à qui il avait été confier le soin d’écrire les mémoires du fameux clown. Dickens décrit un clown qui vit des drames pour chaque succès qu’il connait sur la piste. Ainsi, dans l’esprit du public, la vie de l’artiste devient indissociable de la vie de l’homme. Le remarquable travail d’Andrew Mac Connel n’explique cependant pas pourquoi le clown est devenu violent. Dans sa vie privée comme dans la version qu’en donne Dickens, le clown est un personnage triste,
La violence commence à apparaître avec un autre clown, Jean Gaspard Deburau. Ce clown français n’est pas un Auguste mais un Pierrot. Jean Gaspard Deburau est célèbre dans le Paris de la première moitié du 19e siècle. Il est célébré par de grands auteurs comme Charles Nodier, Théophile Gautier ou Charles Baudelaire. Un jour de 1836, il tue de coups de canne sur les boulevards un enfant qui avait eu le tord de le traiter de “Pierrot”. Jean Gaspard Deburau sera acquitté de toute charge à son procès
John Wayne Cacy fait franchir au clown un nouveau pallier dans l’horreur. John Cacy donne toute satisfaction à son travail. Il est aussi connu pour être Pogo le Clown a des fêtes. Entre 1972 et 1978, il agresse et tue plus de 35 jeunes hommes dans la région de Chicago. Aux policiers qui viennent l’arrêter, il dit comme une évidence, “Vous savez… les clowns peuvent se permettre de tuer. Il est exécuté en 1994. Pogo le Clown a sans aucun doute bien plus contribué à installer dans l’imaginaire collectif l’image du clown violent que Joseph Grimaldi ou Jean Gaspard Deburau
L’image du clown violent est ensuite traitée par la culture populaire. La liste de ces clowns serait longue à établir. On se souvient de Poltergeist dans laquelle une poupée clown devient vivante et tente d’attirer un petit garçon sous le lit. Le terrible Gripe-sous du roman Ca de Stephen King agresse des enfants. Les clowns nous viennent de l’espace dans Les clowns venus d’ailleurs (1988). Dans Clownhouse, ces fous échappés d’un asile psychiatrique martyrisent une petite ville. Le Joker reprend également la thématique de la folie. Enfin, il est difficile de clore cette petite liste sans parler du dépressif Krusty le clown de la série Les Simpson qui semble très inspiré de Joseph Grimaldi.
L'image du clown violent est ainsi construit dans l'espace public. Elle est traduite dans différents médias, et c'est à l'occasion de leur rencontre que les enfants apprennent à en avoir peur.
Les déterminants individuels
Si l’horreur est culturellement construite, elle est également individuellement déterminée. L’angoisse qui saisit certains enfants devant un clown plonge ses racines dans les premiers moments de développement de tout être humain.
Les psychologues de l’enfant ont montré l’importance du visage dans le développement de l’enfant. Le psychanalyste Spitz en fait un organisateur précoce de la personnalité. Pour Donald Winnicott, l’enfant s’identifie au visage de sa mère. L’expérience du “still face” montre qu’un bébé de quelques semaines éprouve de la détresse lorsque sa mère lui oppose un visage impassible. Le bébé s’étonne, proteste, se détourne et parfois se déprime un moment. D’une façon générale, les masques nous confrontent a ce type d’expérience. Lorsque nous sommes face à une personne masquée ou maquillée comme un clown, la diversité de ses émotions nous échappe. Nous ne pouvons plus accorder nos émotions et nos pensées au visage de l’interlocuteur ce qui provoque de la perplexité voire de la détresse
Conclusion
Les créatures d’horreur sont des images du travail mené par une culture à un moment de son histoire. Aussi, les clowns maléfiques sont comme des messages. Quelle histoire de nous même nous racontent-ils ?
Les clowns maléfiques nous apprennent tout d’abord que notre manière de réagir devant les difficultés de la vie est en train de changer. La rage et la violence sont en train de remplacer la dépression comme modalité organisée aux difficultés de la vie. Il y a encore une génération, le clown triste était la face cachée du clown. Aujourd'hui, c’est un clown malveillant, extrêmement violent, voire maléfiques, qui remplace l’image de la tristesse. Autrement dit, la dépression comme moment de retour sur soi, certes douloureux, mais permettant une réorganisation de ce qui a été éprouvé, est mis de côté. Cette difficulté collective à passer par des moments dépressifs se traduit par la tendance à la satisfaction immédiate et rageuse des désirs.
Les clowns maléfiques sont porteurs d’un autre enseignement. Ils montrent que ce qui est traditionnellement associé à l’enfance est vu comme quelque chose de potentiellement violent et dangereux. Derrière le clown violent, c’est de l’enfance dont il faut se garder. Cette méfiance vis-à-vis de l’enfance, de ce qu’elle a de désordonné, chaotique est à mon avis à mettre en regard avec le fait que la population occidentale est vieillissante.
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