J’ai découvert hier une nouvelle émission de télévision : Belle toute nue. Des femmes qui n’aimaient pas leurs rondeurs étaient prises en main par une personne qui les aidait en une semaine à s’aimer telles qu’elle étaient. Elles passaient différentes épreuves, puis se voyaient confiées à quelques spécialistes (coiffeur, photographe…) qui les aidaient trouver une apparence qui correspondait à leur “vrai moi”. La fin est bien évidement une happy end : les participantes sont enchantées, souriantes et radieuses. Elles se sentent enfin belles.
Ces émissions font partie de toute une série d’émissions qui sont construites sur le même modèle. Une situation de départ qui pose problème. Ici, c’est le regard que l’on porte sur soi-même, mais cela peut être une maison à réaménager (D&Co), des repas de cantine (Vive la cantine), des difficultés avec les enfants (Super Nanny, Le grand frère) …
Toutes les émissions de télé réalité entrent dans ce cadre. Du loft à La ferme des célébrités en passant par La nouvelle star ou Star academy, ce qui est donné à voir, c’est un processus au moment ou il se déroule. Des candidats sont peu à peu sélectionnés, formés, transformés, marquettés, standardisés.
On comprend très mal ces émissions si l’on se contente de les regarder de haut. C’est une fiction que de croire que d’un coté il y aurait la télévision qui flatte les bas instincts, qui abruti, qui prépare les masses aux vendeurs et de l’autre il y aurait une télévision qui élève, qui instruit, qui parle aux intellects.
La vérité est qu’aucune masse n’est livrée pied et poings liés aux médias. D’abord parce que ce qui est vu dans l’intimité des chez soi devient un fait social le lendemain au bureau ou à l’atelier. On parle, on discute, on échange sur La ferme des célébrités. On se fait une opinion. On construit une opinion.
Ensuite, parce que ces émissions sont vraiment intéressantes. Elles sont une leçon sur la complexité. Elles donnent d’abord a voir les processus de sélection et d’élimination dans lesquels nous sommes tous pris et qui sont d’habitude invisibles. Dans nos vies professionnelles, les centres de décision sont de plus en plus éloignés, et les décisions de plus en plus incompréhensibles : pourquoi fermer telle usine alors qu’elle tourne à plein ? Qu’est devenu le collègue avec lequel j’ai travaillé pendant des mois ou des années. Avec les émissions de télé réalité, ces processus sont donnés à voir.
Enfin, ces émissions témoignent d’un très grand changement dans notre façon de comprendre le monde. Nous sommes aujourd’hui davantage intéressés par les processus que par les états. Hier, la grande question était “Comment c’est fait" ?” et les cassettes vidéo regorgeaient de bonus dans lesquels on apprenait les mystères des transformations de Michael Jackson dans Thriller. Aujourd’hui, le plaisir du “behind the scenes” est devenu beaucoup moins grand.
Il y a encore une poignée d’années, un objet pouvait être compris en observant sa morphologie. Par exemple, les composants d’un moteur de voiture était clairement identifiables, et leur démontage en règle permettait de comprendre les principes du moteur à explosion. Comme les moteurs de voiture, la plupart des objets qui nous entourent aujourd’hui sont devenus incompréhensibles. Ils sont devenus des boites noires.
Ce n’est pas simplement une question de logiciel ou de moteur de voiture. C’est un changement profond dans toute la culture. Nous sommes passés d’un questionnement sur les origines – d’où viennent les choses – à un questionnement sur les processus – comment les choses se font elles maintenant ? Le travail psychique porte moins sur la différence entre l’état présent et un passé que l’on tente de reconstruire. Il porte sur la complexité et les transformations.
Beaucoup d’enfants de ma génération ont cassé des jouets pour comprendre “comment ça marche”. Pour onéreuse que puisse être cette curiosité elle était structurante (si la destruction n’était pas culpabilisée par les parents) car elle organise la vie psychique. Ce que les enfants mettent ainsi en compréhension, ce sont des fantasmes qui renvoient généralement au fonctionnement de l’intérieur du corps maternel et à la procréation. Le “comment ça marche” est d’abord un “est ce que cela marche bien” angoissé et la destruction sert d’abord de vérification.
Depuis au moins deux générations, les enfants qui cassent leurs jouets ne trouvent plus de points d’appuis ou structurer leur imaginaire. Ils se trouvent face à des boites noires
Cela ne veut pas dire que le travail psychique ne se fait plus, et qu’il faut préférer les jouets de nos grands parents à ceux d’aujourd’hui. Il se fait autrement. Il se fait autour de la complexité. Il se fait autour de ce qui entre et ce qui sort d’un dispositif. Il se fait autour de la transformation.
Le monde est devenu si complexe, la temporalité si accélérée que nous avons besoin de penser davantage qu’auparavant les phénomènes de transformation. Les émissions de télé réalité sont aux adultes d’aujourd’hui ce que les jouets cassés étaient aux enfants d’hier : des objets de travail pour comprendre leur monde. Ce sont des dispositifs exploratoires de systèmes hyper-complexes et des leçons magistrales sur les transformations qu’ils peuvent subir.
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