vendredi 27 janvier 2012

Jeux vidéo : donner des limites n’est pas suffisant

“Combien de temps les enfants peuvent-ils jouer aux jeux vidéo” est la question qui m’est invariablement posée lorsque j’interviens sur ce thème.

Ma réponse est tout aussi invariable : le temps nécessaire et suffisant. Lorsque les choses se passent bien, l’enfant qui joue expérimente la sensation que quelque chose s’est réalisé. Le jeu est terminé. Il a rempli son office qui est de permettre à l’enfant d’intérioriser une expérience subjective. Cela peut être un rôle, un interdit, un désir, un idéal. C’est une expérience importante, car lorsqu’elle n’est pas vécue, c’est à dire lorsque le jeu est interrompu trop précocement, les bénéfices du jeu sont en partie gâtés.

Cette expérience complète a été décrite par le psychanalyste D. W. Winnicott avec le jeu de la spatule. Lorsqu’une spatule est posée à portée de main d’un enfant de quelques mois, il passe par plusieurs étapes. Au départ, il commence par percevoir l’objet et il témoigne d’hésitations à s’en emparer. Dans un second moment, le désir de posséder la spatule grandit et l’enfant finit par la porter à sa bouche. Il joue avec l’objet et avec les partenaires humains de la situation. Enfin, dans un troisième temps, il abandonne le jeu et l’objet. La situation complète peut se répéter  plusieurs fois. le cycle complet est important car il permet à l’enfant de  prendre confiance en lui et en son environnement.

Pendant le cycle, l’enfant met ses désirs (prendre, mordre, mettre à la bouche, faire du bruit) à l’épreuve des personnes présentes et de ses images internes. S’il désire l’objet, peut-être est ce que les autres aussi ? Que vont dire/faire sa mère et le docteur ? Peut-on jouir pleinement de cet objet ? Est ce que prendre possession de l’objet lèse quelqu’un ? Vivre le cycle complet signifie que l’enfant est capable de vivre une expérience de plaisir, et au mieux de plaisir partagé, sans empiètement de l’angoisse ou de la culpabilité.

Cette expérience se retrouve avec l’enfant et les jeux vidéo. En effet, les jeux vidéo sont au moins aussi attrayants pour un enfant que l’est une spatule brillante pour un bébé de 6 mois. Les conduites, et les obstacles sont les même. L’enfant a envie de jouer, il craint la réprobation des parents, hésite, évalue s’il remplit convenablement les conditions pour jouer. Puis il se lance. Il prend allume la console, prend le contrôleur de jeu en main, et se cale confortablement. Une fois la partie lancée, il joue avec plaisir. Puis, le plaisir de jouer se fait moins intense du fait d’éléments externes ou internes. D’autres possibilités de jeu peuvent apparaitre, ou l’enfant a rencontré dans le jeu une difficulté qu’il n’a pas surmonté, ou il n’a tout simplement plus le gout de jouer. Le cycle est alors complet.

Pour les parents, il y a plusieurs difficultés. La première est que le cycle de jeu vidéo complet est très variable selon le jeu considéré. Il peut durer quelques dizaines de minutes pour un casual game  a quelques heures pour un MMORPG comme World of Warcraft ou Star Wars : The Old Republic. Cela tient au fait que les MMORPG sont des environnement beaucoup plus complexes car ils font intervenir des partenaires humains. Chaque joueur est donc dépendant des aléas de ses partenaires pour pouvoir réaliser cette expérience complète.

La seconde difficulté est que chacun n’est pas toujours libre du temps dont il dispose. L’emploi du temps de la famille mêle plusieurs agendas et il peut être difficile de laisser une partie se poursuivre jusqu’à son terme.

Mais tout cela n’est finalement qu’une question de gestion du temps, et avec un peu d’organisation, il est possible de trouver du temps pour les jeux vidéo tout comme on trouve du temps pour n’importe quel autre loisir.

La principale raison pour laquelle  le temps passé à jouer aux jeux vidéo n’est pas une clé suffisante pour réguler l’activité d’un enfant tient au fait que donner des limites n’est pas suffisant : il faut aider l’enfant à transformer ses expériences.

Un des raisons pour lesquelles les jeux vidéo sont si prisés, c’est qu’ils sont pourvoyeurs d’interactions. L’enfant (ou l’adulte) interagit avec le jeu vidéo en investissant de façon préférentielle certains éléments. Certains apprécient de retrouver toujours les même choses. D’autres vont aimer l’excitation et les sensations données par le jeu vidéo. D’autre aimeront les moments ou leurs gestes se synchronisent parfaitement avec les actions sur l’écran. D’autres aimeront incarner des personnages puissants et valeureux…

Le jeu fonctionne alors comme un container dans lequel des expériences peuvent être faites en toute sécurité. Mais ces expériences ne deviennent véritablement fructueuses que si elles font l’objet d’un échange de paroles. Cet échange de paroles aide l’enfant à passer d’une situation ou il est immergé dans le jeu vidéo à une situation ou il se représente pour quelqu’un d’autre ce qui a été en jeu pour lui.

Les enfants commencent généralement spontanément à faire ce travail de traduction. Une fois la console éteinte, il jouent avec des playmobils ce qu’ils viennent de jouer, ils sautent dans tous les sens, ou ils donnent dans un jeu les identités de personnages de jeu vidéo. Ce n’est pas, comme certains parents le craignent, qu’ils sont restés “scotchés” au jeu, et le remède n’est pas qu’ils jouent moins. C’est qu’ils sont en train de traduire une expérience dans un autre registre que le registre dans lequel elle a été vécue. En d’autres termes, ils symbolisent. Avec le jeu vidéo, ils étaient engagés dans une expérience qui privilégie l’émotion et l’image. Avec le jeu, ils privilégient les interactions sensori-motrices. Courir, sauter, éprouver de la fatigue, sentir la résistance des objets et du monde permet de vivre autrement ce qui a déjà été vécu dans le jeu vidéo.

Le risque est que le container se transforme en chambre forte. Ce qui a alors être vécu avec le jeu vidéo ne sera pas mis en contact avec le reste de la personnalité de l’enfant. Le jeu vidéo devient une sorte de Végas dans lequel tout est possible. La difficulté n’est pas dans la différenciation entre l’espace du jeu et la réalité car les enfants connaissent parfaitement cette limite. Elle tient davantage à l’isolation de sensations ou de fantasmes vécus secrètement ou honteusement.

Le travail de symbolisation doit donc être poursuivi par une mise en parole. En racontant ce qui a été joué, en exposant ses choix, ses actions, et ses préférences, l’enfant représente pour l’autre ce qui a été vécu. Et dans le même temps, il s’en fait une représentation plus précise. Les réactions du parent, ses étonnements, ses intérêts tout comme ses incompréhensions l’aide a mieux se représenter ce qu’il sait, ce qu’il ignore, et les connaissances de ses parents.

Le récit offre une nouvelle médiation à l’enfant. Il n’est plus dans le temps ou les choses se passent. Il est dans le temps ou les choses se racontent. Les enfants ont d’ailleurs à ce moment souvent des exagérations dont il ne faut pas trop s’offusquer. Ce qu’ils produisent, c’est un récit qui tient du mythe. Mais peut-on faire autre chose que devenir mythologue lorsque l’on a joué à être un nain farouche, un pilote de course, ou un gestionnaire d’équipe de football ?

 

En conclusion, se center sur le temps que les enfants passent à jouer n’est qu’une partie du problème. Il faut aider les enfants à mieux contenir et  assimiler les expériences vécues avec les jeux vidéo.

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