samedi 11 mai 2013

Le réseau internet comme ferment de l'adolescence

Lorsqu'il s'agit d'Internet et d'adolescents, on se retrouve souvent face à deux attitudes opposées. La première attitude est de percevoir les adolescents comme des personnes à protéger du fait de leur immaturité. Dans ce contexte il faut donc leur éviter d'être confronté à des contenus considérés comme gênants pour leur développement. La seconde attitude est de concevoir les adolescents comme des personnes incontrôlables dont les conduites problématiques voire délictueuses doivent être punies.
Ces deux attitudes ne prennent pas en compte les spécificités du réseau ni celles de l'adolescence. L'adolescence est un moment de transformation au cours duquel la personne se ré-invente. Au terme de cette transformation, elle doit être capable d'établir des  relations bienveillantes et significatives, être intégrée à des groupes différents de son groupe familial, et être capable d’établir des limites sures quant à son identité et son intimité.
Le réseau Internet participe de ce travail. En effet, le réseau est principalement utilisé à des fin récréationnelles et de socialisation. L'internet est quelque chose entre le parc d'attraction, le centre commercial et le hall d'immeuble. On y traine avec quelques amis, on s'y fait voir, on y discute.
En permettant de se lier et de communiquer avec d’autres personnes, tout en gardant la maitrise de ce qu’il expose, les relations en ligne participent du travail de l'adolescence. Elles permettent de réduire les sentiments d’isolement et de solitude, de reconnaitre ses émotions et ses pensées comme valables au travers d’un processus de comparaison sociale et d’expression de soi..
Cela est vrai pour les espaces que les adultes aiment voir les adolescents fréquenter : sites éducatifs, espaces de jeu proprement balisés. Mais cela est vrai aussi (et peut être même surtout) pour des espaces plus sombres.
Il existe sur l'Internet des communautés spécialisées dans les comportements auto-destructeurs. Ces communautés peuvent être pérennes, c'est à dire organisées autour de forums, de pages LiveJournal, ou pages Facebook. Elles peuvent également être "volatiles", et n'apparaitre qu'à l'occasion d'un tweet ou d'un message sur Facebook.
La plus connue de ces communauté est la communauté "pro-ana" ou "anamia"  (Antonio Casilli travaille sur la sociabilité anamia). Dans cette communauté, l'anorexie n'est pas le trouble grave des conduites alimentaires que l'on connait, mais une amie à qui l'on écrit des poèmes. "L'anorexie n'est pas une maladie, mais un style de vie" est le slogan fédérateur de ces groupes dans lesquels on s'échange des trucs pour manger le moins possible. D'autres communautés se fédèrent autour des auto-mutilation ou du suicide. Les membres de ces communautés font une identité de ce que est considéré ailleurs comme un diagnostic psychiatrique en produisant un matériel important à l'occasion d'échanges sur des conduites auto-destructrices
C'est précisément ce point qui est important : le contenu est généré par les utilisateurs. Il ne s'agit pas d'images diffusées par un mass-média a destination d'une cible précise. Il s'agit d'images et de récits pris dans la vie et l'histoire de chacun. Ces images et ces récits, aussi troublants puissent-ils être, sont autant d'indices d'un travail sur soi. Sur les forums ou il est questions d'automutilation, les signatures et les profils de quelques utilisateurs mettent en avant les conduites automutilatrices. Mais s'effrayer des images sanglantes, et des photographies de cicatrices risque de faire oublier que la grande majorité des messages sont des messages de soutien. Puis viennent les messages qui évoquent le contexte et les motivations de l'automutilation. 
Les signatures des messages comportent des extraits de poésie, de chansons ou renvoient vers un livre . Les messages sont très majoritairement des messages de soutien (28,3%) et des messages donnant le contexte et les motivations de l’automutilation (19,5%. Puis viennent les messages traitant du masquage des cicatrices laissées par les auto-mutilations (9,1%)
La créativité est une composante de l'expression de l'identité. Elle est utile dans le développement de la personne. En effet, la créativité est soi l'expression d'un vrai-self, aussi libre que possible de contraintes externes et internes (Winnicott), soi un moyen d'explorer de nouvelles modalités d'être (Rothenberg, 1990). Cette créativité est favorisée par des éléments qui peuvent facilement être retrouvés dans les communautés en ligne : la motivation intrinsèque, l'individualisme, l'absence de jugement, le regard positif des autres. Dans les communautés en ligne, chacun est libre de produire des contenus et de commenter ceux des autres. Les conseils donnés et le soutien apporté aux autres est également une décision libre de chacun. Le climat de permissivité et de tolérance permet à chacun de se sentir accepté et compris  pour ce qu'il est, et ce jusque dans ses conduites les plus destructrices.

On a longtemps pensé que l'Internet avait des effets désocialisants. On sait maintenant qu'il a des effets de socialisation chez les adolescent en mal d'eux-même : les adolescents auto-mutilateurs ont davantage tendance a utiliser l'Internet que les autres (1)Ainsi, les communautés en ligne problématiques jouent un rôle tout à fait positif. Au delà des contenus provocateurs, elles permettent aux adolescents en difficultés d'être en lien avec d'autres personnes.

(1) Mitchell K, Ybarra M: Online behavior of youth who engage in self-harm provides clues for preventive intervention. Preventive Medicine: An International Journal Devoted To Practice And Theory 2007,45(Suppl 5):392-396. OpenURL

4 commentaires:

  1. Article intéressant, comme toujours! Juste un problème dans le 8ème paragraphe, la phrase "Enfin, viennent les questions ayant " n'est pas finie. Je bosse comme pionne dans un collège et à chaque article j'ai envie de l'imprimer et de le coller sous les yeux de mes collègues et de la plupart des parents d'élèves.

    RépondreSupprimer
  2. Je corrige la GROSSE coquille, comme ça il sera imprimable (-:

    RépondreSupprimer
  3. Et bien... Encore un article qui me donne le sourire - malgré le sujet - et l'envie de continuer dans cette voie. A bientôt Yann

    RépondreSupprimer
  4. Né avant les années 90, j’avais une certaine méfiance pour Facebook et ses avatars. Cette mise en avant de soi est difficilement compréhensible.
    J’ai progressé grâce à des articles comme le vôtre pour ne pas rester coincé dans l’attitude du « vieux con » réfractaire aux réseaux sociaux. Je dois mentionner les explications d’un chercheur de la Sorbonne Stéphane Hugon qui voit dans ces pratiques une évolution positive vers la fin de l’individualisme. voir

    http://bit.ly/Q6u8SI

    RépondreSupprimer