Les premiers voyageurs du cyberespace sont revenus avec des récits colorés et exotiques de ce qu’ils avaient vu et vécu. « La-bas », dans le cyberespace, des « internautes » créeaient des « communautés virtuelles ». Les habitants de ces lointaines contrées n’étaient plus tributaires de la biologie ni de la réalité physique. Ils s’inventaient des identités au gré de leurs désirs, le vol et la télépotation étaient des moyens de déplacement habituels.
Le cybersespace s’est transformé en quelques années de lieu utopique en une destination exotique pour devenir l’espace banal et familier que nous connaissons aujourd’hui. Il n’est plus le lointain de jadis mais l’ici et maintenant dans lequel nous avons des interactions sociales avec d’autres personnes
Nous devons cette transformation aux premiers digiborigènes
L’Internet était au départ un réseau de communication de machine à machine. Il permettait à un ordinateur de transmettre des informations à un autre ordinateur. L’espace tissé entre les machines et leurs interactions n’était pas un espace amical pour l’homme. Le cyberespace est un espace radicalement autre. C’est un espace utopique, au sens de lieu autre et d’idéologie. C’est un espace qui remet en cause ce que nous savons en termes de temps, d’espace, ou d’identité. Avec lui, la remarque de McLuhan pour qui nous effectuons avec les média les opérations les plus dangereuses prend ici tout son sens. Pourtant, quelques pionniers s’y sont installés, ont créé des collectifs, des communautés, et des outils pour communiquer, échanger, et travailler la nature numérique. C’est à ces premiers hommes, ces premiers digiborigenes , à leurs communautés et à leur travail que l’on doit le cyberspace tel qu’il est aujourd’hui
Ce travail n’est pas seulement un travail technique de constructions d’outils pour interagir dans l’espace Internet. Ce travail est nécessaire mais il n’est pas suffisant pour transformer l’Internet en un espace universel. S’il n’y avait eu que ce travail technique, l’Internet serait resté un espace d’ingénieurs. Ce travail a constitué à doter l’Internet d’un imaginaire. Les premiers geeks n’ont pas traité l’Internet et les ordinateurs comme un réseau et comme des ordinateurs. Ils n’y ont pas vu des programmes informatiques, mais des démons. Dans la foule des utilisateurs, ils ont distingué des sorciers, et des trolls. Ils ont créé des récits et des mythes qui gardent la mémoire des évènements passés. On peut y revivre les grands moments dy cyberespace avec leurs Héros : la Mort de Celui Qui Ne Pouvait Pas Mourir, ou Le premier viol dans le cyberspace.
En d’autres termes, les premiers utilisateurs de l’Internet ont du s’accommoder avec une réalité difficile. Non seulement ils exploraient un espace totalement inconnu, mais ils formaient une nouvelle réalité. S’avancer dans ces domaines étrangers n’a pu se faire qu’en mettant en avant
Les premiers digiborigènes ont créé un espace transitionnel entre eux et l’espace Internet. C’est dans cet espace transitionnel, par jeu, qu’ils ont créé les figures et les outils du cyberspace. Le numérique a fait l’objet d’un intense travail de métaphorisation qui a permis à la fois de rapprocher ce qui était totalement inconnu et de donner aux autres des images connues pour leur faciliter l’abord du cyberespace
Apres ce travail de pionnier, l’investissement du cyberespace a été facilité. Celui-ci pouvait être pensé à partir de métaphores. L’internet n’était plus alors un réseau de machines communicant avec des protocoles aux noms abscons mais un nature généreuse, une jungle recélant des dangers mortels, ou une toile. Certaines métaphores, comme celles de l’autoroute de l’information, ont été abandonnées en chemin.
Au final, les geeks ont produit des images traduisant leurs premières accommodations face à une situation totalement inconnue, et ces accommodations ont ensuite facilité le travail d’assimilation du cyberespace par le plus grand nombre. Ils ont été une communauté de rêveur rêvant/créant un lieu pour l’humanité en lui donnant les images qui lui permettront de se repérer dans ce nouvel espace. On retrouve là le « trajet anthropologique » que Gilbert Durant définit comme « l’incessant échange qui existe au niveau de l’imaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimations du milieu cosmique et social »
Super article !
RépondreSupprimerMerci