Depuis quelques jours, le hastag #EvaluerTuer remporte un petit succès sur Twitter. Il surfe sur la tragique vague de suicide de France Télécom et laisse clairement entendre que l’évaluer est une procédure criminelle.
Le hastag est répercuté dans la petite psychosphère qui s’est constituée sur Twitter à la fois par des non psychologues – ce que je peux comprendre – et par des psychologues – ce qui ne laisse pas de m’étonner.
Comme psychologue, mon travail est précisément d’évaluer. J’évalue “un être total en situation” selon la définition canonique que nous a laissé Daniel Lagache de la psychologique clinique. J’utilise pour cela des techniques – les entretiens directifs, non-directifs, les tests… – et une méthode – la méthode clinique.
Cette évaluation est précieuse. Elle permet d’explorer le fonctionnement psychique d’une personne et de lui présenter un miroir de son fonctionnement psychique conscient et inconscient. L’enfant qui se pense débile peut trouver un appuis décisif lors du compte-rendu qui lui est fait du bilan psychologique; celui qui se pense surdoué peut avoir confirmation de cette perception.
Le #hastag nous vient des lacaniens – c’est un dossier de la revue Le Nouvel Ane et un forum aura lieu le 7 février à la Mutualité (Paris) sur cette question. Telle que la question est formulée, elle est moins clinique que politique.
Nous évaluons toujours ce que nous faisons. Et nous évaluons toujous nos patients et nos clients. Dans le secret de son contre transfert, c’est à dire des émotions qu’il éprouve et des pensées qu’il vit en relation avec son patient – il évalue ce qu’il traverse. Il trie patiemment ses éprouvés ne ce serait-ce que pour déterminer ce qui lui appartient en propre, ce qui appartient a son patient et ce qui appartient à la dyade thérapeutique. Il a aussi évalué si une psychothérapie ou un psychanalyse est indiquée.
La question est politique car quelques lacaniens ont toujours aimé a reprocher aux psychologues une pratique d’évaluation. On se souvient de la phrase de Canguilhem qui reprochait à la psychologie de glisser trop souvent du Panthéon à la préfecture de Police. Foucault avait fait la même critique en mettant en évidence combien la psychologie et la psychiatrie se prêtaient à être des disciplines au service du pouvoir. On peut tout à fait le dire de la psychanalyse.
J’ai toujours trouvé étonnante la haine de l’Ecole de la Cause Freudienne vis a vis de la psychologie et des psychologues. Ce sont pourtant ces même psychologues que l’on appelle a la rescousse pour mener les combats de l’ECF croit devoir mener au nom de la psychanalyse. Ce sont eux qui ont été appelés en masse pour lutter contre la loi régulant le titre de psychothérapeute en France. Sherpas de la psychanalyse, ils sont amenés à détester ce qui est au cœur de leur formation et à répondre en rangs serrés à l’appel à défendre une discipline qui n’est pas la leur et dont certains se servent pour déprécier leur pratique. Le problème c’est que cet exercice de haine de soi fait partie pour quelques uns de leur formation psychanalytique. Quels psychanalystes deviendront alors ceux qui sont dans une telle haine de soi ?
Il ne faudrait pas trop vite opposer le “noir” de l’évaluation chiffrée et le “blanc” d’une parole qui aurait toute les vertus. Ce qui tue, ce n’est pas tant l’évaluation que l’usage que l’on en fait. L’évaluation ne tue pas. Ou au moins autant que ne pas évaluer.
Tout à fait d'accord avec vous.
RépondreSupprimerCe n'est pas l'évaluation qui tue mais "l'évaluationnite" quand elle est au service de la gestion financière de la santé par exemple avec pour objectifs la réduction des dépenses "coûte que coûte" ainsi que des effectifs donc des emplois.
Certains lacaniens autour de Jacques-Alain Miller et l'Ecole de la Cause Freudienne mélangent allègrement toutes sortes de démarches évaluatives nécessaires telles que l'évaluation psychopathologique dont ils usent pourtant dans leur pratique clinique et les évaluations institutionnelles des établissements de santé qui sont au service d'une certaine idéologie gestionnaire calquée sur le modèle anglo-saxon; même chose pour l'évaluation sémiologique dans le champ de la psychiatrie: elle est nécessaire mais elle ne peut être réduite au fameux DSM prétendûment athéorique...
Confraternellement.
Philippe Grosbois
maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie