Alors que le jeu vidéo fait partie de la culture enfantine et est pratiqué régulièrement par les enfants, quelques voix s’élèvent pour s’inquiéter de l’engouement des plus jeunes pour cette activité. Dans cet article, après avoir rappelé les conceptions du psychologue Jean Piaget sur le jeu, nous verrons ensuite comment les enfants peuvent s’appuyer sur le jeu vidéo pour développer leur intelligence.
Les types de jeu chez Piaget
Jean Piaget considérait que le développement de l’enfant se faisait suivant un ordre immuable de stades. A chaque qu’un stade est complété, les connaissances des stades précédents sont reconstruits à la lumière des nouvelles connaissances. Ces stades sont le stade sensori-moteur (0-18 mois), le stade pré-opératoire (2-7 ans), le stade opératoire concret (7-12 ans) et le stade des opérations formelles (à partir de 12 ans)
Au stade sensori-moteur, l’enfant s’appuie sur ses réflexes et sa motricité Il entre en contact avec l’environnement par ses sens et ses actions. L’enfant touche, palpe, regarde, porte a sa bouche les objets qui sont à sa portée.
Au stade préopératoire, l’enfant peut se représenter les choses les choses à l’aide de mots ou d’images. A ce moment, il devient capable de faire semblant. L’exploration du monde se fait par la perception et les sensations
Au stade des opérations concrètes, l’enfant organise les événements en fonction de la logique et non plus en fonction de ce qu’il perçoit. Il comprend les analogies concrètes et peut exécuter des opérations mathématiques. L’exploration du monde peut se faire en pensées.
Enfin, au stade des opérations formelles, l’enfant accède aux opérations abstraites. L’enfant peut s’appuyer sur des représentations et des raisonnements complexes pour explorer les différentes possibilités qui s’offrent à lui ou penser à ses expériences passées.
Pour Piaget, le jeu suit les différentes étapes du développement de l’enfant. Il se complexifie en suivant les étapes de la maturation biologique, psychologique et sociale. Les premiers jeux sont des jeux moteurs, au plus près de l’arc réflexe, et les jeux les plus évolués font intervenir la pensée symbolique et d’autres partenaires humains.
Les jeux du stade sensori-moteur sont des jeux d’exercice. L’enfant exerce ses réflexes de façon automatique. Il répète les mouvements du corps qui suscitent du plaisir. Le cercle de la réaction circulaire primaire se complexifie en intégrant des objets puis en prenant en compte les effets des actions sur ces objets. L’enfant part donc d’une sensation agréable qu’il cherche à maintenir ou à reproduire. Le plaisir du jeu est avant tout un plaisir de fonctionner. Dans ces jeux sensori-moteurs, l’enfant s’éprouve comme acteur des événements. Ces jeux d’exercice correspondent au stade des opérations concrètes et à la pensée préverbale.
Le jeu symbolique correspond au stade de la pensée verbale. Il est associé à la pensée représentative. L’enfant est devenu capable de se représenter un objet absent. Il joue à faire « comme si » en imitant les gestes des adultes. L’enfant, par exemple, jouera à téléphoner en prenant un objet comme s’il s’agissait d’un téléphone et en parlant à un interlocuteur invisible. Les imitations simples se complexifient de plus en plus et vers 3-4 ans l’enfant commence à représenter des scènes avec des interactions complexes.
Dans les jeux à règles, l’enfant fait semblant en fonction de règles plus ou moins explicitées. Ces règles vont du « pan ! t’es mort » qui déterminent qui et quand on doit être mort à celles qui régissent les jeux de carte ou de plateau. Dans le premier cas, elles peuvent être négociées tandis que dans le second cas, elles sont intangibles.
Le jeu suit donc une évolution. L’enfant commence d’abord par jouer avec un son corps, puis des objets.
Ensuite, il peut jouer avec des objets absents, enfin il joue avec d’autres enfants. Tout au long du développement, le niveau de complexité augmente puisqu’au départ il ne s’agit que de jouer avec les qualités sensorielles d'’un objet, puis d’imaginer la présence d’un objet qui est absent, et enfin de jouer avec d’autres qui imaginent des objets absents dans un ensemble de règles L’enfant construit donc des jeux de plus en plus cohérents, de plus en plus symboliques, et de plus en plus complexes
Le développement de l'intelligence à travers les jeux vidéo
Si l’on reprend ces différents éléments, on comprend comment les enfants peuvent utiliser les jeux vidéo comme ingrédients de leur développement. Un jeu vidéo « un logiciel ludique, interactif, utilisable sur console ou sur ordinateur, faisant appel à des accessoires comme une souris, un joystick, un volant, un clavier, etc. pour interagir avec l’environnement du jeu » (Larousse, 2012). Il nécessite de la part du joueur des actions, et suscitent chez lui des pensées et des émotions. Le jeu vidéo peut être investi comme jeu d’exercice, comme jeu symbolique ou comme jeu à règle. C’est cette plasticité qui le rend intéressant dans le développement de l’enfant.
Le jeu vidéo comme jeu d'exercice
Comme activité, les jeux vidéo correspondent aux jeux d’exercice. Par exemple, dans le jeu Pokémons, le joueur incarne Sacha, un jeune garçon qui a le désir d’être le meilleur de tous les dresseurs de Pokémon. Dans un premier temps, les enfants abordent le jeu au niveau de l’interaction. Ils se contentent souvent d’appuyer de façon répétée sur le bouton A puisque c’est lui qui a le plus de chance de faire avancer le jeu. A ce niveau préverbal, c’est le plaisir de fonctionner qui prime. L’enfant est tout à sa joie d’être actif sur le monde et en relation avec ce qu’il produit.
Les jeux vidéo sont des activités sensori-motrices pratiquées pour le plaisir des interactions. Les actions suivent une grammaire basiques : appuyer/relâcher un bouton, pousser le stick à droite, gauche, haut ou en bas. Le langage vidéoludique peut être complexifié en faisant intervenir la notion de rythme (appuyer plus contrôleur pour effectuer ou moins rapidement) et en combinant des actions. Certains jeux, comme les jeux d’arcade ou les jeux de tir, font appel de façon préférentielle à cette dynamique. Dans les jeux d’arcade, le joueur fait évoluer un personnage au travers d’une succession de difficultés. Il doit effectuer les bons gestes au bon moment pour pouvoir progresser. Dans les jeux de tir, le joueur doit faire preuve d’habilité pour tuer les ennemis, se mettre à couvert en profitant du décor ou du paysage, et utiliser les objets qui sont à sa disposition (trousse de pharmacie, armes, carte). Certains jeux sont d’ailleurs appréciés précisément en raison de la difficulté de leur prise en main
Le jeu vidéo comme jeu symbolique
Il arrive un moment ou l’enfant comprend que certains Pokémon sont plus efficaces dans certaines situations, il commence a organiser différemment ses parties. Au plaisir de l’interaction s’ajoute celui des choix. Devant chaque adversaire, l’enfant se demande s’il doit utiliser Karapuce ou Bulbizarre. Doit-il utiliser un Pokémon Feu ou un Pokémon Herbe ? Doit-il avoir dans son équipe Raichu et Salamèche ? Est-il judicieux d’utiliser toujours le même Pokémon parce qu’on l’aime ou doit-on parfois faire ses choix sur des critères moins affectifs ? En d’autres, il doit mémoriser les caractéristiques des Pokémons, et à partir de là manipuler les opérateurs logiques « et » « ou » au cours de ses parties. La maitrise de ces opérateurs est une étape décisive dans le développement.
Les jeux vidéo sont aussi des jeux symboliques parce que le personnage manipulé à l’écran n’est pas vraiment le joueur. Il ne fait que le représenter. Il est un avatar, c’est-à-dire une représentation simplifiée de la personne dans le plan d’existance du jeu vidéo. L’aspect sous lequel se présentent ses partenaires de jeu, qu’il s’agisse de personnages gérés par l’ordinateur ou de partenaires humains, sont également des représentations imagées. Enfin, l’univers dans lequel évolue le joueur est une représentation de la réalité, quand bien même elle se présente sous les aspects du réel, comme dans les simulations aéronautiques par exemple.
Par ailleurs, l’univers des jeux vidéo est ouvert sur l’univers symbolique en général. Les jeux vidéo utilisent les mêmes symboles que les mythes ou les contes. Leurs histoires suivent égalent la même trame : un héros est appelé à l’aventure. Chemin faisant, il trouve des aides surnaturelles. Il reçoit une formation qui lui permet de venir à bout de ses ennemis. Finalement, le bon ordre est ramené dans le monde, et le héros revient au pays enrichi spirituellement et matériellement. Tous ces éléments se retrouvent dans les jeux vidéo : la princesse Peach est enlevée par le méchant Donkey Kong. Mario se jette à son secours. Il est aidé par des bonus qui augmentent temporairement ou durablement ses capacités. A l’issue du combat contre le boss de fin de jeu, il retrouve sa chère princesse.
Le jeu vidéo comme activité sociale
Les jeux vidéo sont des activités sociales. L’évolution des jeux les a rendus de plus en plus multi-joueurs. Même les jeux qui se jouent en solo permettent de partager ses scores sur les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook. Généralement, ils permettent de jouer en coopération ou en compétition avec d’autres joueurs humains. Les joueurs doivent alors développer un sens du jeu suffisant pour comprendre comment utiliser au mieux les capacités de leur personnage et comprendre les besoins de leurs partenaires de jeu. Enfin, parce qu’ils sont devenu des éléments des cultures enfantines et adolescentes, les jeux vidéo sont des objets de conversations. Les stratégies, les avis sur les meilleurs jeux ou les meilleurs personnages sont discutées dans des conversations passionnées. Ces discussions sont importantes parce qu’elles donnent à l’enfant un feedback sur son activité. Elles lui permettent de construire des stratégies de jeu qui sont plus adaptées au but qu’il se fixe et de jouer de façon plus conforme avec le principe de réalité. Par exemple, au départ, une unité sera déclarée puissante à cause de ses couleurs ou de son apparence, puis l’enfant apprendra a s’appuyer sur des éléments plus factuels comme les points de dégâts qu’elle occasionne ou son armure.
Une des spécificités du jeu vidéo est qu’il superpose différentes façons de jouer dans un seul jeu et offrent en quelque sorte un raccourci temporel. En effet, il est possible de d’expérimenter le plaisir des interactions en s’appuyant sur la sensori-motricité requise pour jouer et dans le même temps de se laisser aller aux plaisirs des narrations contenues dans le jeu. Les jeux vidéo offrent donc une expérience dans laquelle on retrouve les jeux moteurs qui ouvrent sur les plaisirs de l’interaction, des jeux symboliques qui représentent un conflit
intrapsychique et des jeux sociaux qui nécessitent l’intériorisation de règles.
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