jeudi 10 mars 2016

Vous connaissez la strat ? Le jeu vidéo comme problème à résoudre


Vous connaissez la strat ? Le jeu vidéo comme problème à résoudre


les joueurs sont rassemblés a quelques mètres du roi Liche et de sa terrible Deuillegivre. Jusque là, le groupe s’est plutôt bien comporté. Les difficultés ont été passées sans trop de problème. Mais ce boss pose une difficulté particulière. Un joueur prend les choses en main et demande

— Vous connaissez la strat ?

Chaque boss nécessite que soit appliquée une stratégie particulière. Lorsque le boss ne pose pas de difficulté spécifique, ou que la puissance du groupe lui est largement supérieure, la stratégie est tout simplement “foncer dans le tas”. Mais lorsque le groupe est d’une force inférieure ou égale au boss, il faut alors faire preuve de davantage de prudence, d’ingéniosité, voire de malice. Si tous les membres du groupe ne connaissent pas la stratégie, il est impératif de la partager avant de passer à l’action.

Les jeux vidéo sont souvent présentés négativement. Ils sont alors au mieux une perte de temps ou dangereux pour la santé des joueurs ou leur entourage parce qu’ils suscitent des addictions ou des comportements agressifs. Pourtant, les jeux vidéo sont avant tout des espaces de construction de connaissance. Un jeu vidéo est bien plus que des des héros hyper-virils, des bimbos dévêtues, des princesses à sauver, ou des armes de destruction massive. Lorsque l’on retire tout le clinquant, les jeux vidéo apparaissent dans leur pure beauté. Ce sont des problèmes à résoudre.

En quoi est ce que les jeux vidéo sont des problèmes ? Un problème peut être défini comme “une situation initiale avec un but à atteindre demandant au sujet d’élaborer une suite d’actions ou d’opération pour atteindre ce but” (BRUN, 1990). Pour cet auteur, les problèmes sont pour une part subjectifs car ce qui est un problème pour une personne ne l’est pas pour une autre, et ce qui est un problème dans une situation ne l’est pas nécessairement dans une autre situation.

Le fait que les jeux vidéo soient des problèmes est une chose importante car elle les lie à la construction de savoir. En effet, les problèmes sont liés aux apprentissages puisque la situation de résolution de problème apporte de nouvelles connaissances. La psychologie a mis en évidence que les apprentissages se construisent par deux voies différentes. La première passe par les interactions avec le monde. Les apprentissages sont alors dit constructivistes. La seconde passe par l’interactions avec d’autres personnes. Les apprentissages se font alors au travers de processus sociaux. Avec les jeux vidéo, ces deux voies sont utilisées.

Dès l’écran de départ, le joueur doit avoir une lecture des actions à engager. S’il a une expérience suffisante, il peut s’appuyer sur les apprentissages précédents. Dans le cas contraire il va devoir élaborer des stratégies et les tester une à une. Aussi, on voit les joueurs confontés à une nouvelle situation tester rapidement tous les boutons pour apprendre les actions qu’il leur est possible d’exécuter.

Lorsque l’écran de jeu montre une voiture sur un circuit avec un décompte jusqu’au signal de départ, le joueur est confronté a une situation de départ avec un but à atteindre qui lui demande d’élaborer une suite d’actions. Il comprend qu’il s’agit d’une course, qu’il doit finir premier et qu’il doit pour cela utliser les possibilités offertes par le jeu. Le contrôle de la voiture sera un problème pour le joueur débutant mais ne posera pas de difficulté pour un joueur confirmé. Ce même joueur qui fait des merveilles à Mario Kart pourra être mis en difficultés dans un jeu de course comme Need for Speed dont les mécaniques sont différentes.

Tous les problèmes ne sont pas égaux. Certains sont meilleurs que d’autres. En 1923, le mathématicien allemand David Hillbert a défini au cours d’un conférence devenue célèbre ce qu’est un bon problème. Pour lui, un bon problème doit être clair, difficile et abordable. C’est précisément une des caractéristiques des jeux vidéo. Ils offrent des situations simples dans lesquelles les objectifs sont clairs et précis. De Pong (“Evitez de manquer la balle pour gagner”) à Candy Crush Saga (“Rassemblez trois bonbons de même couleur”) en passant par World of Warcraft (“première quête”, les objectifs sont toujours énoncés de manière non ambiguë. Ce sont de bons problèmes au sens de David Hillbert car ils sont immédiatement compréhensibles.

Enfin, les problèmes posés par les jeux vidéo ne viennent pas seulement de l’activité elle même. Entre le but à atteindre et le joueur se trouvent toute une série de problèmes à résoudre : régler la voiture, trouver les bonnes combinaisons de touche pour vaincre un adversaire, mémoriser un environnement etc. Mais certains joueurs s’inventent des problèmes supplémentaires : gagner un combat sans perdre un point de vie, arriver premier à toutes les courses, arriver au level XX sans donner le moindre coup. Les joueurs jouent alors dans le sens donné au jeu par Bernard Suits : “Jouer consiste à tenter volontairement de surmonter des obstacles inutiles”

Les apprentissages se font grâce aux interactions que les joueurs ont avec le monde du jeu. Parce que les jeux vidéo sont des mondes simulés, et parce qu’il sont des jeux, les joueurs sont doublement invités à faire des choses. Les pensées sont facilement traduites en actions et essayées dans le jeu. Le feedback immédiat donné par le jeu permet au joueur de tirer rapidement des conclusions et donc d’ajuster ses stratégies.

La grande force des jeux vidéo est d’offrir un environnement dans lequel les actions des joueurs prennent sens. Ce qui est appris est immédiatement mis en application. Les interactions dans le jeu sont sous tendues par l’assimilation et l’accomodation. L’assimilation consiste a comprendre une situation nouvelle avec le prisme des apprentissages anciens. Par exemple, un joueur confronté à un nouveau FPS aura tendance a appuyer sur la touche Z pour avancer, car c’est la touche qui est habituellement affectée au déplacement. L’accomodation nécessite un changement du modèle interne pour prendre en compte la nouvelle situation. Les cycles assimilation accommodation qui caractérisent les apprentissages pour Piaget se retrouvent avec les jeux vidéo. Le problème posé par le jeu suscite un déséquilibre qui nécessite une remise en cause des savoirs passés et donc de nouvelles accomodations.

Les jeux vidéo apportent des objectifs clairs mais aussi raisonnablement difficiles. Personne ne veut jouer à un jeu trop facile, et tout le monde abandonne les jeux trop difficiles. Les jeux vidéo placent le joueur entre le Charybde de l’ennui et le Scylla de l’échec. Il faut que le challenge juste un peu au-delà des compétences du joueur

L’autre manière d’apprendre dans les jeux vidéo ne passe pas par les multiples manipulations effectuées dans le jeu. Elle passe par les interactions avec d’autres joueurs. Lave (1988) a développé une théorie de l’apprentissage qui rend compte de ses liens avec la vie sociale. Il montre que l’apprentissage est un processus d’enculturation. Apprendre quelque chose, c’est entrer dans une communauté et développer une expertise. Plus l’apprenant devient un expert, plus il prend part aux débats de sa communautés. Ce processus est très visible avec les jeux vidéo. Dans la communauté des gamers, le passage de novice à expert se traduit dans les conduites des joueurs. Les novices sont au départ sur les bords externes de la communauté. ils accèdent aux documents et tutoriaux produits par les experts et mis en ligne dans les forums. Ils suivent les conseils donnés par les joueurs les plus expérimenté. Lorsqu’ils acquièrent les connaissances suffisantes, ils peuvent prendre part aux conversations de la communauté et donner à leur tour des conseils aux nouveaux venus.

Jouer à un jeu vidéo est ainsi une façon de mettre son intelligence à l’’épreuve des problèmes posés par le jeu vidéo. En mettrant en oeuvre des stratégies et en évaluant leurs résultats, le joueur surmonte des obstacle et fait des apprentissages.

SOURCES
Brun, Jean. "La résolution de problèmes arithmétiques: bilan et perspectives." Math École 141 (1990): 3-14.

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